
Résumé Exécutif
Le Nouveau Modèle de Développement (NMD, 2021-2035) du Maroc représente l’aboutissement d’un exercice national majeur et historique pour le pays. Pour donner suite aux Hautes Instructions de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, la Commission Spéciale pour le Modèle de Développement (CSMD) a élaboré le NMD en 2021 après avoir mené deux années de consultations approfondies.
Le Nouveau modèle de développement accorde une importance notable à la question de la transition énergétique dans l’avenir du royaume, appelant à ce que le Maroc soit un pays leader sur le plan régional en matière d’énergie verte et bas-carbone, d'ici 2035. Le NMD considère que la réduction des coûts de l’énergie peut être obtenue via une réforme du secteur énergétique et une transition vers des énergies renouvelables à faibles émissions de carbone. Pour réussir cette mission, il propose d’introduire des réformes sectorielles suivant les orientations stratégiques suivantes :
1) « Mettre en place une nouvelle architecture institutionnelle autour d’un régulateur fort, indépendant et crédible pour l’ensemble du secteur »
2) « Mettre en place une politique tarifaire transparente, dynamique et compétitive, reposant sur une séparation claire du rôle des acteurs »
3) « Restructurer l’ONEE pour lui permettre d’assurer sa fonction stratégique de modernisation du réseau de transport d’électricité et d’accompagnement de la réforme du secteur »
4) « Développer la production décentralisée, efficace et intelligente, pour donner un accès à une électricité compétitive dans les territoires »
5) « Déplafonner l’accès au gaz naturel pour l’industrie et pour le développement du pays »
6) « Ériger le Maroc en tant que plateforme régionale dans les échanges énergétiques, la R&D et le contenu local »
Trois ans plus tard, ce rapport préparé par l’Initiative IMAL pour le Climat et le Développement se veut un bilan indépendant des progrès réalisés dans la mise en œuvre de chacune de ces orientations stratégiques. Ce bilan a été élaboré en vue d'enrichir le débat national et soutenir les acteurs responsables, afin d'accélérer la réalisation par le Royaume de son objectif stratégique de devenir un leader mondial de l'énergie verte. Ce travail d’évaluation et de réflexion prospective pourrait être mené de façon périodique, afin d’assurer un suivi continu des réalisations du secteur à la lumière des recommandations du NMD.
Ce bilan indépendant suggère les messages et conclusions générales ci-dessous :
▪ Évolution de la transition énergétique nationale face aux retards accumulés. Le Maroc a historiquement joué un rôle de leader en Afrique et la région dans la transition énergétique, avec des avancées notables et des accélérations récentes soutenues par des efforts significatifs en cours. Cependant, une analyse de la situation actuelle met en lumière certains écarts entre les ambitions élevées fixées par Sa Majesté le Roi et les réalisations accomplies dans le cadre des six orientations énergétiques du NMD. Bien que la prise de conscience des enjeux se renforce et que plusieurs initiatives structurantes soient engagées, des défis persistants continuent de ralentir le déploiement optimal des énergies renouvelables. Ces défis, bien que surmontables, nécessitent une approche concertée et des ajustements stratégiques pour assurer une mise en œuvre plus fluide et efficace de la transition énergétique.
▪ Risques économiques d'une transition énergétique trop lente. Si la transition énergétique n’est pas accélérée comme prévu dans le NMD, cela pourrait entraîner des conséquences dommageables qui toucheraient non seulement le domaine de l'énergie, mais également l'ensemble de l'économie du pays. Les décisions prises et les mesures entreprises dans le cadre de la transition énergétique auront des impacts profonds sur la compétitivité, la croissance et la résilience économique de notre pays. D’un côté, une dépendance prolongée aux importations de combustibles fossiles exerce un effet délétère sur les ressources fiscales du Maroc, son compte courant et ses réserves de devises étrangères, alors qu’une production autonome d’énergie solaire et éolienne, à faible coût d’exploitation, offrirait une alternative plus durable. D’un autre côté, les retards dans la réduction de l’intensité carbone du réseau électrique pourraient engendrer des coûts supplémentaires et affecter à la compétitivité industrielle marocaine, à l’heure où l’Union Européenne et d’autres juridictions instaurent des mécanismes de pénalisation des produits à forte teneur en carbone.[1]
▪ Un changement de paradigme est nécessaire pour une mise en œuvre accélérée et réussie de la transition énergétique. Pour réaliser pleinement la vision de Sa Majesté le Roi Mohammed VI et consolider le leadership du Maroc en matière d'énergie verte, un changement de paradigme est nécessaire, impliquant une approche renouvelée, alliant agilité, innovation et engagement fort de tous les acteurs. Cela comprend :
1. L'élévation du dossier, en abordant les discussions y afférentes sous un angle politique que technique : Actuellement, la question de la transition énergétique et le déploiement massif des énergies renouvelables sont principalement abordés sous un prisme technique, et souvent considérés comme un enjeu d’ingénierie. Pourtant, il est essentiel d’adopter également une approche stratégique afin d’en saisir toute la portée et d’en assurer une mise en œuvre efficace des ambitions.
2. Adoption d’une approche orientée vers la résolution des problèmes. Plutôt que de se limiter à l’identification des obstacles, il est essentiel d’instaurer une dynamique proactive axée sur leur résolution. Cela passe par la définition de mandats clairs pour les acteurs clés de la transition énergétique, en précisant explicitement les actions attendues de chacun afin de garantir une mise en œuvre efficace et coordonnée.
3. Une transparence renforcée. Les déséquilibres de connaissances et d’accès à l’information constituent des défis majeurs à chaque étape du processus décisionnel, en particulier lorsque les acteurs institutionnels historiques adoptent une approche conservatrice, voire alarmiste. Une meilleure compréhension des enjeux techniques permettrait toutefois de prendre des décisions plus éclairées et pertinentes. Dans ce contexte, un cadre partenarial international, notamment sur le renforcement et l’adaptation des réseaux de transport et de distribution, jouerait un rôle clé en favorisant un partage d’expertise et une meilleure coordination des actions à l’échelle globale.
4. Une approche flexible et ajustable. Les décideurs et responsables doivent apprendre à s'engager dans leur transition énergétique sans nécessairement avoir la solution complète prédéfinie. Cette “mentalité de transition” implique une approche flexible, ouverte aux ajustements nécessaires face à l'évolution constante du paysage énergétique.
5. Une concentration sur l'objectif final de la transition. La vision à long terme du pays et l’impératif d'urgence doivent prévaloir. L'approche politique et réglementaire doit s'aligner sur cette ambition en tenant compte des besoins de l'ensemble des secteurs et des chaînes de valeur. En d'autres termes, elle ne doit pas sacrifier l’ambition pour se conformer avec un cadre réglementaire inadéquat ou bien un réseau électrique non préparé.
▪ Enfin, cette évaluation met en avant trois agendas issus du NMD, chacun englobant différentes orientations stratégiques, comme priorités d'action pour le secteur. Ces axes sont considérés par IMAL comme des volets nécessitant une intensification des efforts durant les cinq prochaines années :
1. Libérer le potentiel de l’énergie décentralisée au Maroc. L’énergie décentralisée est un des objectifs récurrents dans le NMD, clairement souligné par la Commission pour sa capacité à contribuer « à la fiabilité, la résilience, l’équilibre et la compétitivité du réseau énergétique ». Les infrastructures de production décentralisée pourraient bénéficier du déploiement de systèmes intelligents pour une intégration plus efficace de ces ressources dans les réseaux de distribution. Le Maroc possède un énorme potentiel en matière d'énergie décentralisée, notamment dans le domaine de l’énergie photovoltaïque sur les toits. Cette source d’énergie peut générer des emplois significatifs et renforcer l’indépendance énergétique du Maroc, réduisant ainsi sa dépendance vis-à-vis des importations d'énergies fossiles. Toutefois, à l’heure actuelle, l’accès au réseau pour de telles installations demeure limité en raison de restrictions imposées par les opérateurs des réseaux de distribution. Il est donc essentiel d’accompagner ces opérateurs pour surmonter les obstacles perçus et adapter progressivement le réseau en conséquence, à l’image des initiatives réussies mises en place dans d’autres pays partenaires.
2. Revoir les contrats d’achats à long terme, notamment pour les stations de charbon. Le NMD met l’accent sur la nécessité de réévaluer les contrats d’achat d’énergie à long terme, considérés comme non compétitifs pour l’ONEE. Il envisage également la possibilité de la défaisance « par voie amiable ou judiciaire, permettant de régler leur surcoût en une fois plutôt que sur toute leur durée, afin de permettre à l’ONEE de se restructurer sur des bases saines ». Cette démarche revêt une importance particulière pour les contrats conclus avec les centrales au charbon, compte tenu du risque qu’elles font potentiellement peser sur l’économie marocaine et sa compétitivité industrielle. Comme évoqué précédemment, cela est dû à leur empreinte carbone élevée qui pèse sur l’intensité carbone de la production de l’électricité au Maroc. Alors que la part du charbon dans le mix énergétique est amenée à décliner à l’horizon 2030, principalement en raison de la montée en puissance des énergies renouvelables, soutenue par l’augmentation des capacités installées en solaire, éolien et stockage, ainsi que par les objectifs nationaux de décarbonation et de diversification du mix énergétique, les actifs fonctionnant au charbon resteront néanmoins présents dans le paysage énergétique national. Il est donc crucial d’engager une réflexion approfondie sur leur avenir, notamment en matière de gestion des contrats d’achat d’énergie. Cette approche doit intégrer les dimensions économiques, environnementales et sociales, tout en explorant les opportunités offertes par les financements climatiques internationaux. Comme cela a été observé dans d'autres pays en développement à travers les initiatives de « Just Energy Transition Partnership », ces financements pourraient permettre de structurer une transition progressive et équitable, assurant une compensation adéquate aux opérateurs concernés tout en facilitant l’accélération du déploiement des énergies propres.
3. Faire du Maroc un leader régional en tant que plateforme d’échange d’électricité verte. Le NMD ambitionne de positionner le Maroc en tant que point d'échange stratégique d’énergie entre le Maghreb et l'Europe, en favorisant la mise en place progressive d'un marché de l'électricité au Maghreb et en réalisant la connexion du réseau électrique marocain au réseau de l'Afrique de l'Ouest. Cette dernière mesure est considérée comme une initiative stratégique majeure qui stimulerait le développement de la région, notamment à travers le «West African Power Pool» (WAPP). La concrétisation de cette vision nécessitera plusieurs étapes clés, notamment le développement des interconnexions régionales, l’harmonisation du marché national de l’électricité avec le marché européen ; ainsi que la mise en œuvre réussie des autres orientations du NMD. Cela inclut la réforme et la décarbonation du secteur de l’électricité ainsi que l’investissement dans la flexibilité du réseau national et l’adoption de réglementations efficaces pour libérer le potentiel de la production renouvelable au Maroc.
[1] Si le NMD note à juste titre que la fabrication à plus faible émission de carbone sera une source d’avantage concurrentiel national en matière de compétitivité industrielle, l’inverse de cette affirmation est également vrai, et la fabrication à plus forte teneur en carbone deviendra une source de désavantage concurrentiel.